Les paradoxes du petit Tom

Tom est borgne de l’œil gauche.
Il voit donc bien à droite et ne voit rien du tout à gauche.
On pourrait s’attendre à ce qu’il panique lorsqu’on se trouve sur sa gauche pour le manipuler (pansage, travail, etc.).
Hé bien pas du tout.
En réalité, grosso modo, il accepte des bruits et touchers sur sa gauche, qui, si nous les reproduisons sur sa droite, avec la même lenteur, la même progressivité, le mettent en panique excessive.

En fait, il a peur de ce qu’il nous voit faire.

Je me suis longtemps interrogée sur cet état de fait surprenant.
Mais petit-à-petit, je suis convaincue qu’il ne sait pas / ne sait plus / ne veut plus nous ‘lire’.

Il trouve les humains trop compliqués et tout-à-fait imprévisibles!

Tenez par exemple!
Nous voulons l’approcher, et pour cela, nous allons vers lui le bras tendu, la main en avant, comme lorsque ses copains jettent un antérieur agressif vers lui!
Pire, nous allons le voir même si lui dit que nous arrivons trop vite, et qu’il nous cède la place!
Pire encore, quand il dit qu’il veut désespérément nous céder la place, nous envoyons notre antérieur très fort vers sa tête ou son encolure!!
Au lieu de juste reporter le contact avec lui de quelques instants, pour lui laisser le temps de nous analyser, nous voulons l’attraper, le rendre prisonnier, nous jeter sur lui pour l’empêcher de fuir! Un prédateur ne ferait pas mieux envers sa proie…
Et puis nous sommes tout tendus au lieu d’être relâchés comme quand on vient passer du bon temps avec un ami… toujours cet aspect de prédateur!
:-/

Tom a quelques années d’expérience à ce petit jeu, à cet effet ‘panique, fuyons et ne cherchons plus à communiquer’…

Autre exemple.
Nous avons progressé dans la communication gestuelle donc visuelle avec lui. En effet, c’est nous ‘lire’, nous interpréter qui lui pose problème.
Nous lui avons enseigné que si on est comme ci, il doit faire comme ça, si on est comme ceci, il doit faire comme cela, et que c’est sans danger pour lui de répondre ainsi.
Cependant, lui, il a la machine à calculer qui lui ressasse toutes les possibilités: les gestes de l’homme sont-ils ceux que je crains ou ceux que je peux accepter, a-t-il fait un bruit suspect, ai-je raté une information disant que je suis en danger, par où puis-je fuir si je me fais trahir, dois-je vraiment croire en lui ou rester prudent?….
Du coup, s’il a un doute, il peut très bien enclencher la fuite.
Petit-à-petit, comme fuir n’est pas payant, il essaie de trouver l’autre solution lui apportant un peu moins d’angoisse: la dernière réponse apprise (en gros: s’arrêter, nous faire face ou venir vers nous).
Et ça marche de plus en plus. Option 1: je prends mes sabots à mon encolure et bonjour chez vous, option 2: je prends mon courage à deux sabots et je regarde cet être que je ne comprends pas.
Doucement, l’option 2 remplace l’option 1.

Sauf hier.
Hier, Tom a été sciemment lâché en carrière après un travail à la longe et aux rênes très concluant (quoiqu’imparfait, mais assez chouette).
Quand il s’est agi de le récupérer, Tom n’a pas choisi l’option 2. Il a de suite songé fuite. Mais au lieu de prendre en considération ses nouveaux acquis, il a choisi une troisième option.
Option 3: je ne veux plus rien savoir, je ne sais plus qui est où ni qui fait quoi, mais moi, je prends mon baluchon et je m’en vais d’ici.
Aller-retour-aller-retour devant la porte de la carrière et zip, Tom passe entre les fils. Et… et pas la moindre décharge de courant pour l’en dissuader.
:reallypissed:

Bon, courir mollement derrière Tom en restant à son écoute, et freiner aussitôt que son œil, son regard nous dit “Mais en fait tu veux quoi à me suivre comme ça?” et là, zou, freiner sans retard et se relâcher: “Rien mon pote, rien, mais tu vois, dès que tu me regardes, je te propose du repos, arrêtons-nous un peu dis”.
Sans hésiter, Tom a profité de cette invitation et est revenu, acceptant sans sourciller de se faire attacher et emmener.

Plus tard, quand les contrariétés électriques ont été réglées, Tom a été remis en carrière avec une sorte d’antenne en fil de fer pour faire contact avec les fils de la carrière.
10.000V. Et le sol était plutôt humide.
Sitôt remis en liberté, et sitôt sollicité, Tom l’a joué “tchao bye bye, à la revoyure!”. Aucun déclencheur réel. La simple certitude que s’éloigner de nous sans créer quelque lien que ce soit est la meilleure solution possible pour lui.
Et là, désillusion.
Moi, j’étais bien loin de la porte de la carrière. Tom, lui, s’y est dirigé d’un pas franc, et a réfléchi deux secondes avant d’avancer la tête entre les deux fils. Et là…
Hé bien ensuite, en liberté, Tom passait à bien 15m de la porte d’entrée!! 🙂

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