Les péripéties de bébé Altaïr

Il était une fois un poulain tout costaud mais tout émotif.
Ce jour-là était une belle journée de cours pour les enfants au poney-club, club où il était stationné depuis quatre jours.

Toute la journée, bébé Altaïr a vu passer les poneys qui allaient en cours, et qui revenaient à l’étable (si, chez nous, ce n’est pas une écurie: avant le poney club, des vaches habitaient là).
Toute la journée, bébé Altaïr avait parlé au grand nombre de voitures et d’humains qui passaient par là.
Toute la journée, bébé Altaïr avait vécu dans une grande frustration.
A la fin de la journée, lorsque les derniers poneys ont rejoint l’étable, bébé Altaïr n’en pouvant plus de frustration, a testé les clôtures. Pas de chance pour les humains, le courant avait été naïvement coupé. Bébé Altaïr s’est donc retrouvé à brouter devant le parc de Tara et Ubac…

“Ghislaine, Ghislaine!!! Le sosie de TicTac est dehors, c’est normal?!”
J’aime pas quand on m’appelle à tue-tête avec ce genre de voix inquiète mais retenue… Non bien sûr, c’est pas normal.

Altaïr va bientôt nous offrir toute la gamme de ce qu’un poulain de trait croisé cheval de sang peut nous donner.

En effet, frustré de son isolement et en émoi de son passage de clôture, Altaïr ne rêve que d’une chose: foncer vers ses copains.
Encore une clôture à franchir pour accéder aux Mérens, il hésite et reste là à brouter. Toute tentative même douce d’approche tend à le mettre en route (du genre: “Ah tu es là? Bon ben on y va alors”).
Je cours mettre le courant.
Je fais taire les enfants à la fois très sages mais un poil trop présents (or, c’est quand même à eux que je dois la découverte de la fugue de notre petit ami).

Ouf, j’ai de la main d’œuvre partout. Le degré d’émotion d’Altaïr ne me fait pas penser qu’un seau de grain le calmera. Nous le coinçons dans le couloir le long du parc des Mérens. Il veut rejoindre les Mérens, pas nous avoir dans les jambes: il se précipite d’un côté, genre “Quoi qu’il arrive je passe par là”, un coup de longe frappé au sol le décourage. Il repart de l’autre côté: même topo.
Plusieurs fois. Il hésite à chaque fois à nous traverser en force pour rejoindre les Mérens (ils sont à l’opposé dans le parc). Au lieu de se poser dans l’espace que nous lui offrons, il se met à brouter rageusement de l’herbe.
C’est le moment que je choisis pour l’approcher.
Il se relance, mais son espace de mouvement a alors nettement diminué de mon fait, et zou, il se retourne vers les fils, posément, et traverse lentement les clôtures, tel un homme à la mer affrontant les vagues hautes.
Les isolateurs sautent les uns après les autres, les fils touchent terre…
Je me maudis intérieurement. Altaïr dans l’émotion est en érection, il s’approche des Mérens, désespérément, se jette dans leur duo familial, provocant surprise, inquiétude et début de colère.
Tara nous guette, évite et menace le poulain, Ubac sans le vouloir se retrouve avec le petitou dans les jambes et ne sait plus qu’en faire.
Réagir, vite “Licols!!! Des licols!!”
Heureusement, Tara la plus sociable nous vient dessus, heureuse de trouver du réconfort dans ce fatras de clôtures au sol, elle se laisse attraper avec joie.
“Sortez les poneys, sortez tous les poneys!!! VIIITE!!”
Les gosses assurent à fond, en moins de quelques secondes, l’étable est vidée de tout équidé.

Bernard qui était là emmène Tara vers l’étable.
Ubac se trouve tout embêté avec le poulain scotché dans ses postérieurs, et tous ces fils au sol…
Impossible d’approcher Altaïr sans risquer d’effrayer Altaïr lui-même ou Ubac. On n’a pas besoin de ça pour Ubac!

Stéphanie capte alors l’attention d’Ubac, lui fait amorcer le mouvement vers l’étable (en liberté), il est hypnotisé, il la suit, et soudain il comprend que les clôtures au sol lui permettent pourtant de rejoindre sa sœur. Il analyse vite, quitte des yeux Stéphanie et d’un pas assuré fonce vers l’étable, avec le parasite équin scotché à ses basques, et ni une ni deux, attaque un sac de pain une fois dedans.

“Sortez Tara!!! Fermez les portes!!!”
Oui parce-que quand même, tout innocent qu’il soit, Altaïr est quand même entier, et bien qu’il ait rentré sa zigounette, s’agirait pas qu’il soit précoce, finalement…
Tara est sortie rapidement (ben la balade que Bernard voulait faire avec elle est remise à un autre jour 😉 ), Ubac et Altaïr sont en liberté dans l’étable fermée.
Je rentre et attache Ubac, le poulain se scotche toujours bêtement au grand noir qui est d’une tolérance exceptionnelle.
Altaïr semble plus calme, et semble avoir reconnecté les neurones.

Ok. Je le licole comme si de rien n’était. Je le mets à l’attache, en deux points. J’espère avoir bien calculé les longeurs.
Maintenant on va pouvoir remettre deux-trois choses en place niveau dialogue Homme-Cheval, et ce même lorsque l’émotionnel est au sommet de la courbe. Pour vivre avec les Hommes, petit Cheval, il ne faut pas être trop dangereux sous prétexte que tu paniques…

Ceci est nécessaire de toute façon: il va bien falloir que je ramène Altaïr dans son paddock, sans le laisser aller vers ses nouveaux copains les Mérens. Et là, pas question que petit bonhomme se serve de sa force pour me malmener et me tracter…
Je regrette brièvement que Juliane ne soit pas là mais tant pis.
“Quelqu’un peut me sortir Ubac s’il-vous-plait?”

Et c’est parti…
L’émotionnel grimpe en flêche. Altaïr dit être à l’article de la mort. Je lui demande de me laisser la place, juste comme si je souhaitais le brosser. il veut bien mais dans un même élan il veut se tourner vers la porte où est parti Ubac, m’oubliant dans la foulée et menaçant de me bousculer. Zip, petit rappel cuisant de ma présence. Il me laisse de la place violemment mais se relance en direction d’Ubac (enfin, de la porte), me ré-oubliant au passage…

En gros, il me cède la place mais veut fuir quitte à me passer dessus. Ça, ça marche dans la nature, pas dans la vie auprès des humains.

Deux longes et un joli cabrer plus tard, je peux commencer le travail en main. Nous finissons deux ou trois fois dans la caisse à bombes des enfants.
Booon, j’ai oublié de prendre le temps de mettre des gants; pas grave, on fait et on refait jusqu’à ce que le poulain s’occupe de m’écouter au lieu de s’occuper de rejoindre un congénère. Je m’impose durement mais sans injustice, il commence à se rendre compte qu’écouter permet d’éviter de se faire bousculer (parce-que pour le moment, il interprète ‘je me fais bousculer’, il n’interprète pas encore ‘on me fait une demande répétée plus vivement’).
Il est dégoulinant de transpiration: de stress, pas à cause des efforts fournis!

Puis il se rend compte au fur et à mesure que tout est beaucoup plus simple qu’il n’y paraissait, qu’il suffit de répondre aux ordres que Juliane lui avait inculqués pour que tout soit facile.
Qu’il suffit de se concentrer sur la réponse et pas sur le fait d’être séparé des autres, qu’il est toujours vivant.
Que y’a rien de sorcier, que finalement, pfff, sont trop basiques les exercices, et en plus, ça rapporte des friandises de répondre bien.
Il se pose.
Je reste méfiante.
Je suis informée du fait que les clôtures sont réparées et fonctionnelles, bien alimentées en électricité (ouf, merci! heureusement que cela se produit un soir où il y a Pascale et Stéphanie, expertes en clôtures abîmées! Sinon, j’en avais pour des lustres à aller moi-même réparer tout ça en laissant le poulain attaché à l’étable).
Le retour au paddock se fera avec dix mille précautions; inutiles: il est posé, maniable, à l’écoute, serein, malgré le fait que nous passions à côté de ses nouveaux potes les Mérens sans nous y arrêter.

Bonne nuit, petit poulain, et bonne méditation…

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2 pensées à propos de “Les péripéties de bébé Altaïr

  1. j’ai honte, j’ai honte, j’ai honte…
    Le croisé arabe, là? Non, connaît pas, il n’est pas à moi en tout cas!!
    Je réitère toutes mes excuses, Ghislaine.

    1. Il me semble… que tu n’étais pas là ce soir-là… Et qu’en conséquence, tu ne peux pas être responsable de l’émotivité de ton poulain dans ce genre de situation.
      Voire même tu ne peux pas être responsable de l’émotivité de ton poulain tout court…
      Note dans tes tablettes pour les bonnes résolutions de la nouvelle année: ‘Je ne culpabilise pas à tout propos’
      😉

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