Il était une fois un cheval…
Un cheval de bonne famille, promis à un bel avenir,
qui n’est pas né avec la conformation idéale attendue,
qui n’est pas né avec des pieds irréprochables,
et qui n’a donc pas suivi la voie royale promise par ses ascendants et ses naisseurs.
Et ce cheval-là, je l’ai acheté. De mon plein gré.
Déjà travaillé le nez bien en arrière de la verticale, les jambes plantées dedans, etc. (mais avec l’amour inconditionnel de sa naisseuse, une éleveuse que j’ai beaucoup appréciée).
La nuque verrouillée, le rein figé, l’encolure malléable comme une barre-à-mine, un degré d’écoute et de compréhension des aides proche du zéro degré fahrenheit, la souplesse de locomotion d’un rouleau compacteur mais avec du rebond, etc.
Je me suis dit: bingo, j’ai le savoir-faire, j’ai le savoir-être, j’ai la patience et la volonté, j’ai l’aisance, on va faire des choses super.
J’ai une confiance illimitée en mes soigneurs (Patrick Chêne, Pascal Vespertini) ainsi qu’en mon maréchal, Olivier Hernanz.
Je me suis dit que ce dernier ferait son travail simplement, avec toute sa finesse, et que les boiteries envisageables au vu des radios n’apparaitraient pas (sans se creuser la tête, juste en faisant ce qu’il sait faire habituellement). Taux de confiance dans cette histoire: 200%
Alors bon, on a progressé.
Vraiment. Vraiment lentement. La Basse Ecole n’a plus de secret pour nous (en dehors du contre-galop… relâchement, gestion d’équilibre et écoute fine des aides obligent, vous comprendrez plus bas)
Mais ce n’a pas été si simple.
Du tout.
Déjà parce-que sa perception de mes aides a toujours été un grand mystère.
Soit il n’y répondait pas,
soit il se précipitait en dépit du bon sens pour répondre dans l’urgence (me déséquilibrant à tous les coups, que ce soit pour les transitions ou les tourners…),
soit, alors que rien ne le prévoyait, il tournait/faisait une transition dans l’urgence comme si j’avais demandé quelque chose…
Quelque peu déstabilisant, le bougre!
Mais aussi parce-qu’il y a eu ces blocages psychiques, quand il se préoccupait du milieu extérieur, ces blocages exponentiels, où son être entier perdait les repères dans l’espace, son corps entier devenait une boule de tétanie, se cognant les jambes, ne sachant plus relever la tête mais relevant son corps complet… barre de métal…
Comme je suis quand même aguerrie aux chevaux qui ont peur, et que Véronique de Saint Vaulry fait partie des mes auteurs de référence, j’ai patiemment mis en oeuvre tout ce que je connaissais pour qu’il cesse d’avoir peur de cette même poubelle-à-crottins, ou des traces laissées au sol quand on ôte le matériel (cubes, plots, barres, bâches), ou encore de cette vieille barre d’obstacle pourrissant tranquillement sur le bord de la carrière, protectrice précieuse d’insectes durant l’hiver et l’été…
Dylan a tout touché, tout flairé; il a marché sur les bâches, il a été récompensé, il a même appris à toucher les objets inquiétants sur commande verbale.
Mais non, rien à faire, une fois au travail, ces objets ou traces semblaient lui ré-apparaître comme des fantômes… et à partir de là, zou, l’angoisse le prenait plus fort et plus profondément… Terminés l’harmonie, l’écoute, la progression, la gymnastique, les étirements… Vive l’altérophilie, les exercices militaires et la gestion d’un navire en perdition sur des eaux houleuses.
J’ai tout essayé, ostéopathie, shia-tsu, communication intuitive, travail à une rêne, pauses judicieusement placées, actions plus fortes pour regagner son attention, voire même cris, caresses, musique, friandises à gogo, laisser faire et continuer comme si de rien n’était, supplier, expliquer à voix haute les gestes, ou autres, tout essayé oui, pour le sortir de son gros bug. Du massage à l’électrochoc, en quelque sorte.
Je suis sortie de beaucoup de séances dépitée, en colère, en pitié, en compassion, en inquiétude… et plus rarement enthousiaste, confiante, etc.
Cette mâchoire, cette nuque si promptes à se verrouillées, jamais complètement relâchées malgré de franches cessions, subtil reste de blocage toujours prêt à ressurgir…
Et ce regard, ce regard toujours absent, au paddock, au travail, à l’extérieur… quelle tristesse…
La technique, le savoir-être… tout ça, il me l’a fait voler en éclat.
Il m’a fallu très vite (enfin… deux ans de persévérance, et je ne suis pas du genre laxiste) oublier les aides physiques de propulsion qu’il ne percevait pas.
Du moins, pas assez, pas au bon moment; et ses réponses, quand elles arrivaient, étaient sans rapport avec la pression émise (et non, ce n’était pas de la fainéantise, de la mauvaise volonté, mais plutôt un déficit de perception tactile ou de capacité d’attention).
Pas de transition, transition tardive, transition violente, transition vive non demandée, etc.
Avec l’aide de Florence Lombardini, j’ai donc accepté de sortir de la technique et de mon tact-à-moi, d’apprendre les aides énergétiques, une sorte de prévisualisation pointue, les seules qu’il entende fidèlement, immédiatement, généreusement.
Cependant, je n’ai pas su aller plus loin dans la relation fine pour lui suggérer les changements d’équilibre, les tourners, les flexions par la suggestion, il n’y a pas eu moyen.
Je n’ai su faire que les transitions par ce merveilleux biais de la visualisation énergétique, c’est mieux que rien mais insuffisant.
Et quand d’autres personnes montaient Dylan, en dehors de sa locomotion puissante et inconfortable, il s’avérait que le cheval est si bien dressé, si avancé dans son travail qu’elles n’avaient rien à lui ‘reprocher’, qu’elles ne sentaient pas ces déficits. D’autant qu’elles n’ont pas été confrontées à ces moments où il se faisait peur et se durcissait, ce qui change pas mal la donne. Moins exigeantes que moi aussi, elles n’ont jamais senti cette sorte de cran qu’il y avait au niveau de la mobilité de sa nuque. Elles n’ont pas non plus perçu la dureté de sa mâchoire puisqu’il la mobilise à la demande – mais comme si elle était retenue, limitée par une puissante lanière de caoutchouc.
Je me suis sentie bien seule dans mes perceptions… comment expliquer cela à quiconque?
J’ai bien lu Beudant, et son travail acharné pour mobiliser la mâchoire d’un de ses chevaux rétif, mais je ne me sentais pas de mettre en oeuvre ses idées, qui étaient adaptées (ou pas) à ce cheval-là. Sans compter que Dylan n’est pas rétif. Il est juste impuissant à répondre correctement, c’est écrit dans son oeil.
Et puis j’ai croisé la route de Séverine Deretz, et je lui ai parlé de cette notion d’épigénétique. A ma grande surprise, elle m’a dit avoir fait une formation justement là-dessus. Ah ben fichtre… Si cette rencontre ne tombe pas à pic, je veux bien être nonne…
Elle a manipulé le cheval à la fin du printemps. Une première fois (sur plein de choses, pas que sur l’épigénétique). Son regard a changé, son comportement a changé. Si j’avais eu à qualifier son regard d’avant, j’aurais assimilé cela à de la résignation.
Elle a remanipulé le cheval. Toujours quelques blocages physiques (dont pour changer, la nuque), la peur aussi, mais surtout elle a manipulé sur la parole, sur tout ce que ses ancêtres ont dû encaisser en silence et qui lui est resté coincé, à lui, en travers de la gorge.
Et deuxième miracle, ce cheval ne fait plus de blocage.
Bon, il est vraiment trop tôt pour savoir si cela va perdurer ou non, mais je le sens joyeux au travail, il continue de s’inquiéter ici ou là mais ceci ne le fige plus durablement, ne s’offusque pas quand on ne s’est pas compris, etc.
Est-ce que cela fait de lui un cheval bien conformé, souple, habile de ses pieds? Non.
Mais est-ce qu’à chaque fois que je vais lui proposer de modifier son équilibre pour ‘rattraper’ cela, il va m’écouter tout simplement au lieu de se bloquer comme si je lui disais de se jeter du haut de la tour Eiffel? J’y crois, j’y crois enfin…
(mais je reste prudente, il y a des chances pour que ce ne soit que provisoire)