Jument de sport délicate par excellence, Quadrille, en moins d’un an, a fait des progrès surprenants.

Déjà, son comportement global au paddock:
Elle ne grince plus des dents ou exceptionnellement (à l’heure du repas de foin seulement).
Et elle ne tape plus dans le vide, non-stop, des heures durant.
Elle ne tape plus contre le monde entier. Elle ne tape plus contre sa vie.
Elle ne se paye plus des allers-retours de colère accumulée.
Ou vraiment exceptionnellement; et encore, cela ressemble plus à de l’excitation qu’à de la rage.

Le passage box-paddock a donc fini par payer, même si elle a mis du temps à se poser.
Comme si les premiers mois, elle avait déchargé des années de frustrations.
Comme si enfin elle pouvait hurler à la face du monde comme bon lui semble et que toute contrariété exprimée l’était, mais décuplée.
Une sorte d’adolescence enfin possible, de façon explosive. Une reprise de contrôle de son corps et une évacuation de ce trop-plein d’émotions.
De plus, elle n’a vraiment pas été aidée dans ce retour à la nature: les éléments climatiques ont profondément été défavorables: bref, il a fait un temps de chien des mois durant, pauvre Quadrille! Vive la liberté, hein!
:-/

De même, quand sa compagne de paddock part travailler sans elle, bien qu’elle soit inquiète, ce n’est cependant plus la fin du monde pour elle.
Elle a fini par comprendre que ce n’était pas un abandon définitif.
De là à se demander comment elle a vécu son sevrage puis l’isolement en box… :-/
(Polisson si tu m’entends: tu vois, il y en a qui ont réussi à s’en remettre!)

Ensuite, son comportement au travail:
Le premier truc qu’on remarque, ou plus exactement qu’on n’entend plus:
elle ne grince quasiment plus des dents,
elle ne cherche plus à taper ou se mettre debout,
elle ne crie plus quand elle est contrariée.

Si, Quadrille est une jument qui s’exprime terriblement.
Les chevaux émettent peu de sons, peu souvent. Pas Quadrille.
Quadrille, elle, elle exprime ses conflits psychologiques internes, et bruyamment: elle crie, couine, grince, râle, chouine, proteste à haute voix.
Et elle le fait physiquement aussi. Sans chercher à nous faire vraiment du mal. Juste une grosse grosse crise de nerfs; du genre à casser la vaisselle.Et la vaisselle, là, c’était nous… Ok, elle ne voulait pas nous faire du mal.
M’enfin bon, quand les postérieurs vous viennent dessus parce-que vous avez osé demander au cheval de s’approcher d’un pas de plus d’un objet, pfffiou, c’est pas confort-confort quand même!

Hé bien ça, c’est fini, ou presque.
Comme si elle avait compris que, quand c’est dur pour elle psychologiquement (s’approcher d’un objet inquiétant) ou difficile à comprendre (écarter un postérieur quand sa cavalière agit délicatement avec une seule jambe), il y aura une issue heureuse forcément.
Comme si elle avait compris qu’elle a juste à faire un début d’effort pour être récompensée plutôt que de refuser par la violence, sans s’intéresser au sujet, sans chercher le moindre compromis.

Et, tiens, d’ailleurs, elle ne chauffe plus systématiquement au travail.
Beaucoup de chevaux qui chauffent disent à l’aide. Certains disent qu’ils ne veulent plus rien entendre. Cela dépend de leur vécu et de leur compréhension de l’homme.

Chauffer: stresser = fabriquer/décharger de l’adrénaline dans le sang
et foncer = évacuer/consommer cette adrénaline en excès.
Ceci a pour effet de décontenancer le cavalier qui n’est alors plus focalisé sur sa demande première, mais qui s’occupe de tenter de ralentir la bête.
Donc, réussite totale: chauffer = se défouler en échappant à l’exercice inquiétant au cours d’une lutte plus aisée contre son cavalier, une lutte dans la fuite.
Les chevaux qui chauffent sont des chevaux émotifs et vite désespérés. Ou ceux à qui on n’a laissé aucune chance de réussir sans se faire enguirlander quand ils tâtonnaient pour répondre au cavalier.

Maintenant, Quadrille sait que chaque effort paiera, et que ses erreurs ne seront pas sanctionnées par une avalanche de travail en plus. Que seuls sa mauvaise volonté ou son entêtement dans la fuite sont punis. Et encore, plutôt que punis je dirais ‘contrariés’.

Quadrille n’a pas besoin d’être enrênée pour étendre son encolure, à présent, elle le fait aux trois allures à la demande de sa cavalière.
Ah bien sûr, ça a fait un an de boulot.
Ah bien sûr, sous le coup d’une émotion, Quadrille n’étend pas forcément son encolure volontiers (émotion = remontée d’encolure: c’est ainsi, c’est le lot des chevaux), et elle en fait voir à sa cavalière.
Mais dans l’ensemble, même sur des situations encore nouvelles, ou inquiétantes, sa cavalière obtient de belles extensions d’encolure, de plus en plus stables. Ca valait le coup…
Merci M. Karl pour vos précieux enseignements!

Quadrille ne fuit plus non plus en éteignant toute lumière de son âme, comme elle le faisait en s’encapuchonnant, en serrant la mâchoire, en grinçant des dents: elle ne se coupe plus du monde sensitif, de toute demande, de tout élément alentour. Fini l’autisme réactionnel.
🙂

Du coup, son aspect physique et sa locomotion ont aussi changé.
Au lieu de passer son temps à lutter contre l’enrênement qui la contraignait à garder la tête basse,
donc au lieu de passer son temps à essayer de remonter la tête
au lieu de se faire mal à la langue et/ou aux gencives à cause de l’orientation que l’enrênement donne au mors,
au lieu de fuir ce mors en s’encapuchonnant (le regard éteint et en grinçant des dents, pauvre autiste de notre monde),
Quadrille se sert maintenant d’elle-même de plein de muscles: ceux qui allongent l’encolure, qui étirent le dos, qui tendent son corps vers le mors.
Et son regard reste là, bien présent et concentré.
Ses allures sont du coup à présent fluides et allongées sans avoir spécialement à le demander.

Son regard s’est adouci, son corps s’est arrondi (un peu trop peut-être?).
Ses proportions sont devenues normales, son encolure s’est allongée et étirée: on le voit même quand elle est au loin dans son parc.

Son comportement en concours a évolué positivement.
Ce qui décontenance sa cavalière qui, du coup, ne sait plus vraiment trop bien comment la mener sur les barres! 😀
En effet, avant, c’était compliqué de gérer les émotions de Quadrille et ses fuites par-dessus les obstacles à fond les ballons. Etre toujours sur le frein, gérer les foulées pour que ça ne finisse pas en catastrophe.
Mais Quadrille, elle n’a plus peur des barres d’obstacle. Alors il ne faut plus la gérer pour ce motif. Alors bon, ben zut, comment c’est-y qu’y faut faire alors?
Ne rien faire?
Ah ben non, maintenant, si elle voit une barre et qu’on ne lui indique pas de la sauter, ben elle n’y va plus, Quadrille! Avant, elle avait tellement peur des barres que dès qu’elle en voyait une elle se jetait par-dessus afin qu’elle n’ait plus à se demander qu’en faire. Maintenant, ben elle s’en fiche. Faut y aller? d’accord. C’est pas obligé, du moins tu oublies de me diriger dessus? Tant mieux…
😉

Oh, elle a encore parfois quelques restes ‘réflexes’ d’angoisse à la vue des barres, mais en général il ne faut pas bien longtemps pour la remettre dans sa nouvelle vision plus zen des choses!

Quadrille et la résilience.
Quadrille a donc réussi à faire fi du passé pour se réinstaller dans un nouveau monde, un nouveau mode de fonctionnement et de perception des événements.
Quadrille a entamé ce processus précieux, mais pas toujours gagné, qu’on nomme la résilience.
Et si je regarde bien ce qu’il y a d’écrit dans Wikipédia (pfff, suffit de cliquer sur le lien ‘résilience’ ci-dessus, bande de fainéants 🙂 ), ceci n’est permis que grâce à l’amour.
Ca a l’air bêta, hein, de dire ça.
Et pourtant, c’est la réalité. Avoir affaire à quelqu’un qui, lui, croit en vous, ben ça vous permet parfois de vous en sortir, de toute cette mélasse gluante du passé. Ca vous y fait croire, qu’il y a autre chose que la mélasse gluante, et ça vous donne envie de vous ré-intéresser aux jolis côtés de la vie.

Quadrille, en fait, elle a eu une chance extraordinaire dans sa vie.
Cette chance a même un prénom: elle se nomme Mélanie.