Suelta, c’est comme Shrek ou l’oignon, on découvre toujours une nouvelle couche quand on a enlevé celle du dessus…
A la monte, au pas, elle s’est avérée être une élève très douce et attentive, bien que vite stressée.
Par exemple, qu’un cavalier de la carrière mette pied à terre, et elle met le cerveau en mode “à l’aide le cavalier descend donc ce cheval va quitter la carrière”, et ce même si le cheval reste, ou même s’il y a d’autres chevaux dans ladite carrière – comme en box, quoi : une fuite par piétinements doux s’installe, avec raideurs qui se répercutent jusque dans la bouche et qu’il est difficile de vaincre sauf par électrochoc pour le moment (animal qui fuit dans les broussailles et qui lui fait si peur qu’après elle se remet en position ‘tout va bien’: si elle réagit ainsi; ou mise en avant sans concession par le cavalier).
Couche 1 épluchée:
Au pas, tout ceci semble dans l’ensemble à peu près compris, la jument vient mieux vers son mors, fuit moins souvent dans les pas de côté, essaie exceptionnellement de résister à la rêne lors de la mise en avant, et ne résiste pas plus à gauche qu’à droite, etc.
Couche 2 en cours d’épluchage:
Alors – ouille ouille ouille – j’ai enfin attaqué le travail au trot hier… Son allure de fuite par excellence…
Que de résistances… que d’incompréhensions… que de fuites désespérées braquée contre le mors, de toute évidence non habituée à céder en mouvement par sa bonne volonté!
Hé si, un cheval doit apprendre à aller vers son mors et à y céder, et cela lui demande une grande concentration pour détecter le signal-code [stimulus] en mouvement, et accepter qu’une pression sur la bouche ne veut pas dire ‘arrêt’ si le cavalier ne reporte pas son poids en arrière, mais ‘cède en ouvrant la bouche et en déglutissant, adoucis-toi dans tes muscles.
Or, un mors de filet est rarement aussi puissant qu’un mors à gourmette: mors violent qu’elle a connu au débourrage, et qu’elle a subi sans réfléchir. Elle ne cède donc qu’à la violence, pas par acceptation! Voilà la belle toute en défenses, fuyant ainsi: en se jetant doucement mais sûrement contre son mors, opposant au code ‘cède à ton mors’ toute sa force et toute sa conviction… jusqu’à essayer d’aller de plus en plus vite à chaque demande de ma part, en résistant de plus en plus fort. Stressée, contractée, elle a immédiatement fort transpiré, mais j’ai malgré tout patiemment attendu jusqu’à ce qu’elle pense à chercher une autre solution (juste céder à la demande).
En effet, elle s’en va dans une semaine, et je me serais sentie assez dégueulasse de la laisser partir avec une si mauvaise perception des actions de main… Aussitôt cédé aux deux mains sur trois foulées, cavalière aussitôt descendue.
D’ailleurs, à la seconde où elle a cédé sans raideur, sa concentration pour le faire l’a à chaque fois amenée à se calmer dans tout son corps. Elle était prête à entamer les mouvements de côté dans le calme et la décontraction.
Il me reste à présent à répéter cela assez souvent avant son départ, qu’elle soit capable de vite céder, et de rester assez flexible et souple sur des pas de côté.
Couche 3 qui apparaît:
Autre chose surprenante: dans son incompréhension de la main, Suelta n’a pas donné que la fuite en avant comme réponse; elle a aussi essayé de donner des arrêts (donc, elle a commencé à réfléchir en désespoir de cause), que j’ai royalement ignorés bien entendu, ainsi que… une sorte de piétinement insipide – très doux, certes – sur place!
On aurait dit qu’elle était sereine dans ce geste, comme si elle l’avait déjà pratiqué sous la selle et qu’elle s’attendait à un bon point de ma part. Suelta est le type même de jument pour lequel une mobilisation sur place – avant d’être sereine au travail, avant d’avoir ‘vécu’ donnerait à coup sûr une défense incontrôlable par la suite. Au plus un cheval est ‘stressé’, au plus l’arrêt doit être synonyme de calme et d’immobilité, et non d’une préparation pour un mouvement sur place.
Il lui faudra une idée du piaffer ainsi: puissance de déplacement dans le passage [dans les transitions dans l’épaule en dedans entre le trot, le pas et l’arrêt; surtout pas de passage avant le piaffer ai-je appris depuis] , calme, puissance décuplée pour perpétuer le geste en place. Une simple demande d’arrêt arrêtera alors ses pieds, puisque le piaffer dans son esprit sera issu du mouvement.
Alors qu’une mobilisation sur place va, elle, être perçue ainsi: arrêt puis émotion pour bouger les pieds sans avoir le droit d’avancer. Donc évidemment exploitable en défense. C’est téléphoné… C’est comme lui dire: tiens ma fille, si tu stresses, voilà ce que tu pourras faire. Or, Suelta stresse dix fois à la minute. Et cette défense-là, quel dégoût! Plus aucun arrêt ne sera possible… puisqu’elle se mobilisera à la moindre émotion, et qu’il n’y aura aucun moyen de lui dire ‘on s’arrête’ pour arrêter ses pieds.
Violence, récompenses, patience, astuces, rien n’y fera, c’est un tic de comportement monté, cette défense, et elle satisfait pleinement le cheval qui l’utilise, sans que rien ne puisse l’en détourner.
Donc les trois fois où, quand je lui ai demandé de céder mors, elle s’est arrêtée sans relâcher sa bouche, et où, quand elle s’est rendue compte que je ne cédais pas, elle s’est mobilisée bouche figée, je l’ai détrompée en la renvoyant vivement en avant, ce qui l’a troublée; mais tant pis.
En box, en revanche, pas d’amélioration, malgré un soin constant pour ne l’y mettre que lorsqu’elle mange du grain (j’espérais en fait pouvoir lui faire aimer le box et l’y tenir à chaque fois quelques secondes de plus). Alors certes, elle fonce dans le box, attend le service impatiemment, se jette sur la nourriture… mais dès qu’il n’y a presque plus de grain, ou dès que quoi que ce soit se passe à l’extérieur, elle est repartie à danser devant sa porte, et seule l’intervention sèche de l’humain rebranche son cerveau en mode ‘tout va bien’.
Jument passionnante et complexe, qui demande une remise en question permanente, des concessions sur son mode de vie, et beaucoup beaucoup d’attention et de rigueur chez son humain; bref, j’adore…
suelta pique t-elle les yeux?
Oui, quand ça va trop vite!