Quinto est arrivé pour un bête problème de comportement d’angoisse quand le cavalier se met en selle.
Mais…
… si on le regarde au quotidien, Quinto a un fonctionnement plan-plan dans lequel il se complait et donne de belles choses.
Il veut bien être longé d’une seule et unique façon, être attrapé au pré d’une seule et unique façon, être ramené au pré d’une seule et unique façon, etc.
Et si on le sort de ce fonctionnement, c’est la panique. Et puis violente, la panique.
Avec arrachage (très expérimenté) de longe, galopade effrénée, naseaux grands ouverts, yeux exorbités, muscles plus tendus qu’un arc.
Pas le genre de cheval ‘toute gaite’ qui fanfaronne la queue en l’air, jouant à Chat avec vous!
Le genre: cheval qui sauve sa vie, qui joue à quitte ou double, et nous propulse au rang du Grand Méchant Loup.
Le genre dont le cerveau nage dans un énorme bug et n’arrive plus à reconnecter avec une analyse objective de la situation.
Et même une fois ‘coincé’ (peu ou prou) par des clôtures, même s’il se laisse toucher, même s’il fait croire qu’il coopère: il ment.
C’est une bombe à retardement. Ses muscles sont durs comme de la pierre sous une peau tendue, le sang bat à gros bouillon dans son corps, ses yeux cherchent désespérément une sortie dans cette immobilité mensongère.
Tout geste de notre part, même ralenti (car pas exactement le geste qu’il tolère, ou pas exactement le ralenti qui lui convient) crée chez lui un recul et amplifie son besoin vital de fuite. Il ne nous laisse aucune marge de manœuvre.
Il n’est pas dans une optique de reprise de communication, malgré cette immobilité qui pourrait le laisser croire. Il crève de trouille.
Et le rassurer est à ce jour voué à l’échec, il n’y croit pas une seconde!
Le problème de Quinto n’est pas la montée du cavalier sur son dos, mais l’acceptation du cavalier dans sa vie.
Ce cavalier avec ses gestes d’humain, ses manies d’humain, ses objets d’humain, sa logique d’humain et ses objectifs d’humain.
Et puis, soyons honnête, il sait lui, que l’humain est livré avec cette tendance à taper pour se décharger de quelque frustration…
Prétextant éduquer, l’humain punit le cheval à tour de bras de son échec, devenant incompréhensible, imprévisible, effrayant…
Imaginez! Un cheval que même les Espagnols, peuple cavalier et macho par excellence, n’ont pas réussi à débourrer! Qu’a-t-il vécu alors?!
La punition, la vraie, doit se pratiquer de façon logique; son but est de faire disparaitre un comportement indésirable: pas de faire apparaître la crainte, pas de faire payer une erreur de compréhension (donc une mauvaise réponse) chez l’élève.
En général, il est souvent (pas toujours) plus rapide et plus efficace de faire apparaitre un autre (meilleur) comportement, que d’en faire disparaitre un mauvais. Mais c’est un autre débat…
Parce-que, si on réfléchit bien, les chevaux, ils sont comme nous.
Quand un chien nous mord sans qu’on ait compris pourquoi, on a ensuite un peu peur de tous les chiens. Quand un chat nous griffe alors qu’on le caressait, on a ensuite peur de la réaction de beaucoup de chats. Qu’un malotru vole notre sac et nous voilà à nous méfier de tous les passants. Qu’une voiture nous frôle trop vite de trop près et… Bon, vous voyez l’idée. C’est viscéral, instinctif, animal. Pas exprès, pas réfléchi.
Et pour peu qu’on soit un peu plus sensible, fragile que la moyenne à l’origine… Je ne voudrais pas dire de bêtise, mais il me semble que certains humains ont peur de certains animaux sans jamais avoir été malmenés par ceux-ci: seule la crainte de l’être, réelle ou fabulée, est le moteur de cette peur. Combien de personnes avouent avoir peur des chevaux? Des chiens? Des serpents? Des araignées? Des rats? Parfois sans jamais en avoir touché…
Ben les chevaux, pareil.
Même si un cheval aimait les hommes à la base, si un humain s’est mal comporté avec lui, cela peut déclencher une phobie chez lui. Soit uniquement dans telle ou telle situation. Soit tout le temps.
Quinto, lui, est entre deux. Si on est discret voire éteint, il fait confiance, il cherche les grattouilles, il se détend. Relativement. Mais s’il commence à ne plus nous comprendre, ou si un geste de nous lui rappelle un mauvais souvenir, alors il bascule dans l’excès, plus aucune communication n’est possible, il se verrouille, et pour un bon moment en plus.
Et si on lui demande de sortir de sa position de statue de pierre, c’est la fin des haricots fins!
Le problème n’est pas de monter dessus Quinto. Le problème est de lui faire comprendre que si, nous humains, on peut faire plein de gestes (y compris de celui de la tape) sans qu’il n’ait besoin de s’en préoccuper: ça ne tapera pas, ça caressera et donnera du grain; et puis même si ça tapait, quelle importance! ça ne fait même pas mal! ce n’est qu’un vulgaire code!
Je ne sais pas combien de temps il a galopé en haut et en bas, à gauche et à droite, hier matin. Mes courbatures me le diront vite. Je ne sais pas la durée, mais je sais comment ça a commencé. A l’origine, quelle débutante je fais! j’avais juste voulu lui remettre le toupet en place avant que nous partions vers la carrière. Ça a failli se faire. Mais dans faillir, il y a bien le verbe échouer qu’on sous-tend.
Merci à Pascale de lui avoir bloqué la route quelques fois, ce qui m’a permis de faire des pauses (si, ça crève, le club est grand) et donc de le travailler ‘hors carrière, hors paddock’ (bref, en liberté, mais dans le club).
Et ce cheval-là, pétri de croyances à présent obsolètes et de phobies plus néfastes les unes que les autres, ce cheval-là était monté?!
Mais quelle angoisse pour lui!
Oh oui, il a été monté… Et il a bien travaillé. Mais sans jamais démordre de ses craintes, se contentant de les taire, de les brimer.
Ce n’est pas le travail de se mettre en selle qui pose problème, c’est la déconstruction du mythe qu’il s’est forgé (sans doute à raison en d’autres époques) qui pose problème.
Alors oui, hier, quand il a accepté tous mes gestes sans plus mettre de condition limitative, le travail s’est fini en liberté. Si, sans le moindre lien, à suivre presque comme un chienchien, depuis là-bas (voir schéma 1) jusqu’à l’étable (voir schéma 2).
Dans laquelle pourtant il ne voulait pas entrer. Où pourtant il est entré. Sans longe. Sans se battre.
Alors oui, il a retrouvé un œil doux, un comportement normal, il a accepté de se faire guider, de faire confiance.
Oui, il était réellement, profondément coopératif et sans crainte exagérée.
Mais, non, ce n’est pas réglé.
Loin s’en faut.
Long et sinueux sera le chemin avant de s’asseoir sur son dos avec un accord nécessaire de sa part.
Autorisation qu’il a refusée à chaque fois, à chaque personne.
Refus que chacun a ignoré, inconsciemment, ou éhontément selon les cavaliers.
Un équivalent de viol, reproduit jour de travail après jour de travail, dans la plus parfaite ignorance.
Avant de monter dessus, bien avant ça, il lui faudra donc d’abord comprendre que quand on lui demande une chose nouvelle, il faut s’y intéresser et non se verrouiller, réfléchir et proposer et non fuir, faire confiance et non craindre.
Que de blessures profondes, invisibles, accumulées des années durant, à désinfecter, drainer, recoudre, remodeler, sans jamais pouvoir les effacer totalement…
(oooooh, c’est siiii bôôôô et tellement triiiiste 😉 oui bon, il va s’y mettre et puis c’est tout, hein! on ne va pas pleurnicher non plus! maintenant faut avancer au lieu de stagner dans ce miasme psychologique :-X