Lorsque Bambou a été présenté devant le camion sensé le ramener à sa Normandie natale Strasbourg, il y a quelques temps, il a hésité.
Mené par sa propriétaire, il a marqué tous les signes de bonne volonté et de confiance.
Il a mis du temps à se décider.
Vraiment.
Régressant et se ravisant dès qu’elle tirait sur la longe, se reconcentrant et faisant des efforts quand elle le sollicitait sans action sur la longe.
Il a progressé, progressé…
Et puis il est entré.
Mais il n’était pas prêt à subir cela, cet intérieur de camion (pourtant, super camion, etc.): tremblant, terrorisé, il est ressorti sans que quiconque s’y oppose.
Et c’est là que c’est devenu compliqué.
Il avait fait un effort monumental mais sa récompense a été d’être dans cet espace restreint, inconnu, mouvant.
Friandises, voix, relâchement, remerciements, caresses, propriétaire qui reste à ses côtés, aucun renforcement positif n’a pu contrebalancer le stress vécu lorsqu’il s’est retrouvé de son plein gré dans le camion.
A partir de ce stress, son comportement a changé.
Il n’a plus vraiment fait d’effort.
Enfin, il a amorcé les montées, sans jamais les concrétiser.
Il a fini par tirer sur la longe pourtant quasiment non tendue.
Le conducteur du camion a proposé son aide, et a agi avec logique et application, dans le plus grand calme et gentiment, fermement. Mais en agissant sur la longe. Bambou a coopéré face à une telle motivation calme… mais s’est ensuite systématiquement braqué contre la longe. Game over. Retour entre les mains de sa propriétaire.
Il a commencé à monter en pression doucement mais sûrement, refusant de se poser, refusant de se tenir loin de sa propriétaire, l’obligeant de plus en plus à lui céder de la place, et étant de plus en plus centré sur les moyens d’échapper que sur l’écoute de sa meneuse.
J’ai vu comme si un niveau d’ébullition montait en lui.
Irrépressible.
Comme quand il vient de prendre le courant.
Il prend le courant dans le paddock, il bondit, il s’arrête, il marche, il marche plus vite, s’arrête plus fort. Regarde le ruban électrifié comme si ce ruban était un traitre, ou un animal finalement dangereux. Il le toise, le provoque. Il marche, va vers le ruban, s’éloigne, s’agite de plus en plus, puis finit par trotter puis se jeter sur les autres chevaux, les pousse à bouger de force, les fait galoper, fait le souffle d’alerte, retoise du regard le ruban, etc. Et il monte, il monte en pression, comme une machine qui s’emballe.
Et tout le monde doit bouger comme lui.
On dirait un humain. Un humain qui a subi un stress et qui est incapable de revenir à la raison. Qui réfléchit de plus en plus à l’envers, qui se monte de plus en plus la tête, de minute en minute. Qui en devient déraisonnable, illogique et qui finit par être dangereux (pour les autres, pour lui, au moins psychologiquement si ce n’est physiquement). Ces personnes à qui on n’a jamais appris à gérer le stress ou la colère. Ce n’est pas leur faute, leur cerveau est hors de contrôle, mais c’est insupportable et ingérable pour l’entourage.
J’ai su alors que je ne finirai pas ma séance de travail avec Eclipse.
“Ghislaine… peux-tu…?”
Mettre pied à terre, desseller, envoyer la belle brouter.
Réfléchir.
Le problème, c’est l’absence de raison, de limite. C’est son exponentialité (si, je suis monitrice, j’invente les mots que je veux!) dans la panique même si rien ne la justifie.
Tenter la montée dans le camion selon ce qui venait d’être fait, en y mettant plus de fermeté cette fois (au moins qu’il cesse de nous marcher sur les pieds!).
Inefficace.
Bon.
Pas moyen d’y réchapper, il fallait recentrer Bambou sur la réalité: il y a des limites. Physiques. Morales.
Le mettre en liberté dans le rond de longe (on y était dedans, camion à l’entrée, mais Bambou était en longe jusqu’alors ou tout comme), lui suggérer de se mettre face au pont seul à distance (voué à l’échec vu ses réticences récentes, mais il faut toujours commencer par une demande sensé être facile).
Et là, voir Bambou chercher obstinément les sorties, passer la tête par-dessus le ruban (le couraaaannnt!!! – peine perdue, il n’était pas connecté)… accélérer pour forcer le passage à chaque fois que je lui proposais de faire demi-tour…
J’aurais bien préféré laisser Bambou se calmer tout seul au lieu de lui rappeler que les limites ne sont pas des obstacles à franchir à toute force… si seulement Bambou avait été capable naturellement de se tempérer… (par naturellement, je veux dire quand il est en stress tout seul dans son paddock sans notre implication)… mais l’expérience montre qu’une fois lancé, il est capable de rester sous pression une bonne heure sans se poser…
Voir Bambou franchir et refranchir la chambrière, puis amorcer de franchir les rubans…
Coup de bol, il s’y est mal pris, s’y est fait peur et n’a plus retenté de les franchir (ah, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas eu de réparation à y faire!). Du coup il s’est souvenu que si la chambrière bloque la route à distance, mieux vaut faire demi-tour de loin déjà. Son cerveau s’est rebranché sur la façon de répondre aux sollicitations plutôt que de rester dans la panique.
Et quelques minutes après ce retour d’attention, il avait les antérieurs sur le pont.
Et il y revenait sur demande à chaque fois qu’il avait pris la décision de partir de là.
Le laisser souffler.
L’inciter à monter, et laisser la propriétaire faire la suite: il était à nouveau raisonnable et à l’écoute.
Dommage que le travail n’ait pas été plus progressif et régulier, cela lui aurait permis d’acquérir le contrôle de soi, le courage d’affronter des situations qui lui semblent insurmontables par petites bribes (comme il l’a fait pour ré-apprendre à marcher à nos côtés sans s’échapper sans cesse), il aurait appris qu’il peut rester longuement dans ce genre de boite sans que rien de grave ne se passe.
Bon, c’est fait. Il sera plus facile à embarquer à l’avenir, c’est sûr pour une ou deux fois à venir, mais sa phobie est loin d’avoir été diminuée… La désensibilisation par la répétition puis l’habituation sont nécessaires pour l’aider. Espérons qu’il pourra connaitre cela dans son nouveau chez-lui!!
Et souhaitons-lui de merveilleuses progressions équestres, comme elles avaient l’air bien engagées déjà… 🙂
Bel article. À méditer. Il est sûr que nous allons l’intégrer dans nos séances régulières.