Sendre de Clary, poulain orphelin

Sendre, poulain orphelin

Les premiers jours de la vie de Sendre

Quand nous sommes arrivées ce matin du 14 Mars 2006 au poney-club, la température était négative. Et près de Chica, son nouveau-né, un magnifique poulain gris, bien gaillardement planté sur ses longues jambes, nous observait sans crainte, le poil encore humide mais la démarche assurée.

La maman est malheureusement morte dans l’après-midi, d’une occlusion intestinale sans doute liée à la mise bas.

Dans l’urgence, nous avons dû nous renseigner sur les laits de substitution et la conduite à tenir pour faire face à cette situation que nous n’avions pas envisagée. Le vétérinaire et le pharmacien nous ont alors orientées vers une marque sérieuse qui conseille 8 tétées par jour (3 litres par 24h) durant la première semaine.

Nous avons appliqué, dans un premier temps, la formule selon laquelle il faut faire confiance aux ‘professionnels de la profession’. Si le responsable de la marque sérieuse dit qu’il faut 3 litres par jour, c’est qu’il a fait des recherches et des tests… Nous avions déjà, cependant, un fort doute quant au nombre de tétées journalières préconisées : dans la nature, si l’on se donne la peine d’observer les poulains, on s’aperçoit qu’ils vont téter tous les 3/4h, par petites quantités, de jour comme de nuit..

De l’importance des vétérinaires compétents

Coups de fil au responsable de la marque sérieuse qui finit par avouer sa totale ignorance en la matière mais nous explique que si c’est marqué sur l’étiquette de son produit, c’est que cela a été scientifiquement étudié… M’ouais!

Coups de fil à de vrais vétérinaires qui nous expliquent que non seulement il faut multiplier les tétées mais qu’en plus il faut éviter absolument que le poulain se retrouve le ventre vide (risques évidents d’ulcère). Ils nous prescrivent un anti-ulcéreux préventif – de toute façon, quand on est un poulain et qu’on perd sa maman, on a forcément des ulcères, c’est vérifié – mais ne paraissent pas être très au fait des quantités journalières. Nous décidons prudemment de donner à Sendre une tétée toutes les 1/2 h, de jour comme de nuit, mais pour une quantité journalière de 5 litres.

Les passionnés du poney-club cherchent sur internet tout ce qui a trait aux poulains orphelins et nous donnent le peu de doc trouvé, et de sérieux coups de main (matelas, duvets, repas tout prêts, pèse-aliments, bouilloire…). Qu’ils en soient remerciés sur 20 générations 😉

La situation s’aggrave

Au bout de deux jours, nous avons l’impression que Sendre ne ‘profite’ pas, qu’il ne trouve pas ses formes de poulain en pleine croissance. Pendant trois jours, nous tâtonnons, nous testons diverses concentrations, divers volumes sans oser dépasser les 7l… Situation très déplaisante tant pour Sendre que pour nous qui n’avons d’autre choix que de lui faire subir sans cesse des changements dans son alimentation. Il est ou en diarrhée ou en coliques, et réclame pourtant sans arrêt à manger, les vétérinaires n’apportent pas de réponse claire tant ils pensent que la posologie ‘officielle’ est la bonne. Nous doutons, prises par la fatigue et l’inquiétude, de parvenir à le tirer d’affaire. Nous apprendrons d’ailleurs par la suite que les coliques étaient dues au manque de matière dans l’estomac et non à des problèmes de concentration de poudre de lait : c’étaient des crampes de faim!

Le docteur Priymenko, madame Bouissou et les haras de Bonnevent

Sur les conseils d’une vétérinaire équine, le 20 Mars, nous contactons le docteur Priymenko, de l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse, spécialiste en nutrition équine. En étudiant la posologie et la composition de la poudre de lait, elle nous conseille d’augmenter progressivement mais franchement l’alimentation en essayant de tenir compte de l’état diarrhée/constipation de Sendre. Nous sommes aussi orientées par l’éthologiste M.F. Bouissou vers les Haras de Bonnevent dans l’Orne, spécialisés dans les poulains orphelins. Leurs conseils concordent, nous donnons à satiété au moins deux fois par 24h (Sendre boit en fait 12l et non 5 après une semaine d’existence !): il reprend des formes immédiatement et vient moins nous téter les doigts entre les biberons. D’ailleurs, lui qui n’était déjà pas le dernier à profiter joyeusement de son autonomie devient franchement dur à suivre pour les pôvres nounous…

Nous continuons les biberons toutes les 1/2h, jour et nuit, pour rattraper le temps perdu, dormant avec lui dans le box, avec un chauffage d’appoint (il fait toujours des températures négatives, et Sendre n’a pas le moindre gramme de gras ni même de muscle à consacrer à se réchauffer).

Rapports sociaux

Mais, si Sendre est et demeure le plus gentil, le plus intelligent, le plus beau de tous les poulains élevés au biberon, il n’en pas moins un poney coupé de tout repère ‘équin’ : sans sa mère et parce qu’il nécessite des soins constants (nous en sommes toujours à une tétée toutes les 1/2 heures), nous ne pouvons l’intégrer dans un groupe de congénères. L’inverse n’est pas non plus possible: imaginez la surboum avec quelques poneys dans le box, tandis que nous tentons de dormir collées contre les murs dans nos duvets entre deux biberons…

Il a cependant déjà été présenté à Pony dont les 90 cm au garrot ne présentent pas une réelle ‘menace’ et à Eclipse dont le besoin de materner nous est apparu lorsque nous l’avons entendu ‘appeler’ Sendre… mais nous ne sommes pas allées plus loin, plus préoccupées par l’alimentation que par la sociabilisation de notre protégé.

Tentative d’adoption

21 Mars 2006 : une amie nous parle de Flower, une jument Quarter Horse qui vient de perdre son poulain âgé de trois jours. Son propriétaire, Patrick Andreuzza, nous propose de tenter une adoption… Sendre a déjà 8 jours mais, si l’adoption réussit, ses problèmes d’alimentation, d’intégration et d’apprentissage du ‘langage équin’ seront résolus – sans parler du fait que le prix d’un seau de lait en poudre pour poulain est fortement incitatif !

Ames sensibles, s’abstenir : tenter une adoption avec d’une part un poulain déjà habitué à la petitesse et la discrétion des humains, d’autre part une mère qui a connu son poulain pendant plusieurs jours, et pour couronner le tout, cela en l’absence de placenta (dont on doit recouvrir le poulain pour qu’il se fasse mieux accepter par la jument) n’est pas une mince affaire… surtout quand on n’est ni expérimenté ni même renseigné sur les procédures à suivre, ou les écueils à éviter !

Flower acceptera-t-elle d’adopter un poulain orphelin?

Flower ne voulait pas entendre parler de ce poulain inconnu – malodorant, donc – qu’on l’obligeait à accepter à sa tétine. Sendre ne voulait pas s’approcher de cette grande jument vindicative qui couchait les oreilles en arrière (même si pour lui, faute de contact avec d’autres chevaux, cela ne signifiait rien), qui tapait des postérieurs dès qu’il s’approchait, soufflait par les naseaux toute sa hargne, et qui essayait de le mordre lorsqu’il était à portée de mâchoire. Il a tout de même fallu violenter l’un et l’autre (en tenant Flower au plus serré, arrière-main calée dans un coin pour que ses coups ne portent que sur le mur, en l’empêchant de mordre, etc. et Sendre en l’empoignant manu militari jusqu’à la mamelle nourricière et en le dégageant sans tarder selon les circonstances) durant quelques tétées ‘sportives’ et stressantes pour tout le monde.

Fort heureusement, Flower est ‘mise à l’éducation éthologique’ et très rapidement, nous avons pu contrer son agressivité lorsque Sendre se trouvait à proximité d’elle en lui demandant pendant toute la durée ‘approche, tétée, éloignement’ des exercices basiques d’obéissance qui détournaient son attention de Sendre et lui faisaient concevoir l’épreuve que nous lui faisions subir comme un exercice parmi d’autres. Il est probable que, sans la gentillesse naturelle et l’éducation de Flower, nous n’aurions pu mener à bien cette adoption.

Flower et Sendre : des débuts difficiles

Au début, durant une bonne semaine, il nous a fallu batailler ferme: laisser les deux ‘ennemis’ dans le même grand box, divisé en deux par deux planches – chaque belligérant de part et d’autre – être présentes à chaque tétée pour maintenir Flower dans l’obéissance en l’empêchant de faire du mal à Sendre, et obliger Sendre à s’approcher pour téter, dès qu’il avait faim… de jour comme de nuit, pour changer! – Comme il se doit, nos remerciements infinis à tous ceux qui ont sacrifié de nombreuses demi-journées pour nous remplacer et nous laisser souffler, dormir ou aller travailler – Nous avons, au premier jour, arrêté toute alimentation à base de lait en poudre, et évité toute présence humaine à ses côtés en dehors des repas -sur les conseils de personnes évoluant dans le milieu de l’élevage – afin de pousser Sendre à ‘adopter’ plus rapidement sa mère de substitution et aussi de stimuler la lactation de Flower (qui était au plus bas depuis la mort de son bébé)…

Double erreur : d’une part la lactation n’a jamais repris (en tout cas pas dans des quantité suffisantes pour nourrir Sendre) et Sendre rechignait de plus en plus à tirer sur ces tétines qui ne lui apportaient que de la frustration et ne comblaient pas sa faim; d’autre part Sendre a vécu, à huit jours à peine d’existence, son deuxième sevrage après la perte de sa vraie maman. Il s’est mis à perdre vertigineusement le poids que nous avions eu tant de mal à lui faire prendre. Il réclamait sans cesse ses biberons, puis il a perdu de l’allant, ne cherchant même plus à nous rejoindre et restait prostré de plus en plus souvent, petit squelette… Le pronostic vital étant en jeu au bout de 48h seulement, nous avons mis un terme à nos tergiversations et choisi, alors, de reprendre l’alimentation au biberon sans cesser celle ‘naturelle’.

Bref, un biberon puis une incitation à aller téter Flower. Dès que Sendre a pu manger à sa faim (concentration à 150g/l pour retrouver de la chair au plus tôt , puis ultérieurement, retour à 120g/l), ses rapports avec Flower se sont détendus. Il a cessé d’être apathique et s’est plus volontiers approché de cette maman auprès de laquelle il pouvait ‘combler un p’tit creux’. Et Flower a enfin pu apprécier le contact d’un poulain doux à sa mamelle, sans plus craindre par avance une succion désespérément avide…

Adoption réussie

Au fil du temps, au bout d’une dizaine de jours, nous avons pu laisser Sendre et Flower en liberté totale. L’adoption était réussie du point de vue de Flower, mais n’était pas encore bilatérale (quoiqu’en très bonne voie). En effet, le poulain n’avait eu pour premiers contacts avec Flower que la sensation de morsures, le bruit de ses coups de pied dans les murs, l’impression d’une immense entité inamicale. Il lui a fallu du temps pour accepter cette masse qui se déplaçait bruyamment (hé oui, on n’a pas encore inventé la ‘pantoufle anti-bruit de sabot’), qui des fois s’ébrouait, voire renaclait, pire, qui le dépassait par devant et par derrière à la fois rien qu’en marchant à ses côtés, et, pire encore, qui restait sans cesse collée à lui : l’angoisse !!!

Pour ce qui est de l’alimentation, Sendre, à trois semaines, buvait 24l par jour de lait maternisé. Nous sommes redescendues à 20l quand vraiment il a retrouvé et maintenu un aspect de poulain en pleine forme (enfin, cela a été dur pour nous, mais nous nous y sommes finalement contraintes quand Sendre a commencé à ressembler à un petit Sumo; de même pour repasser à 110g-100g/l : il a fallu un urticaire lié sans doute à une alimentation trop protéinée pour nous convaincre!). Et nous avons réussi à baisser un peu au quatrième mois et à amorcer le sevrage lacté à partir du cinquième mois en arrivant progressivement à deux seaux de 5l par jour puis à un seul…

Elever un poulain orphelin…

Que du bonheur !

Nous passerons sous silence les mic-mac du produit lacté qui fait des dépôts empêchant le lait de passer par la tétine, et donc rendant impossible toute utilisation de la louve à veau (ça nous aurait pourtant bien arrangées de lui laisser son lait suspendu à une branche la nuit !), les soucis de digestion quand on a changé de marque de lait en poudre, les tétines arrachées du biberon la nuit quand il fait froid, qu’il y a du vent, et l’aspersion lactée des vêtements qui s’en suit, l’allergie à la protéine de lait de vache – si si – etc.

Sendre et Flower, le sevrage

Huit mois après le début de ses aventures, Sendre va bien: il vit intégré dans un groupe d’une quinzaine de chevaux et poneys. Flower a joué son rôle de mère adoptive à merveille, le protégeant des autres tout en lui permettant de nouer des relations normales avec ses congénères. Il joue avec les poneys ‘adolescents’, se fait chasser par les chefs du groupe et, depuis peu, s’essaye à dominer… Bref, une vie ‘normale’ de cheval ‘normal’ ! … à ce détail près qu’il réclame le soir son petit seau de 5l de lait si on a oublié de le lui donner dans la journée…

Sa mère adoptive est repartie chez elle; la montée dans le camion a été un crève-coeur… pour moi. Elle a regardé plusieurs fois son fils, l’a henni un peu puis a accepté d’embarquer, de toute évidence consciente de la séparation en cours. Son retour s’est très bien déroulé, elle a repris sa place et son rang hiérarchique dans son troupeau d’origine.

Sendre, lui, fils indigne, n’a pas levé la tête de l’herbe, n’a pas répondu aux appels inquiets de Flower, et n’a jamais eu une attitude de recherche par la suite. Il continue à s’essayer à la dominance avec succès, se colle à Indien pour les repas ou les déplacements (bien qu’il en effectue parfois seul), joue souvent avec Nestor, continue à réclamer son seau de granulés lactés ou celui de lait, adore être libéré dans le poney-club et essaye – euh… réussit parfois – de rentrer dans le bureau où sont stockées les carottes, et nous accompagne en liberté quand nous faisons une promenade à cheval. Il a d’ailleurs très bien compris que ses humains sont assis sur le dos de ses congénères et s’en accomode ma foi fort bien. Nous allons essayer de garder Sendre un peu à part, avec Solune et Smarties afin qu’il reste en contact étroit avec des bébés, car il a vraiment un comportement très… mature… tempéré… retenu… réfléchi… Il serait tellement bien qu’il se sente enfin poulain! Pour les nombreux fans de Sendre, il est possible de prendre de ses nouvelles sur le blog du poney-club de Clary.

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