La surprise de La Gravette

Depuis quelques temps, je donne des cours à trois cavalières aux écuries de la Gravette. A ce jour, les séances se déroulent très agréablement, et les cavalières progressent joliment avec leurs chevaux de tous types et tous âges. Des changements s’opèrent, les couples se comprennent mieux, évoluent vers plus d’écoute et de sérénité (non, ce n’est pas parfait, mais on y viendra 🙂 … à la hauteur des possibilités de chacun).

La dernière fois, une autre personne a regardé le cours avec curiosité et s’est inscrite avec sa jument pour prendre cours aussi, ce dimanche dernier. Parfait : c’est toujours un plaisir infini de rencontrer de nouvelles situations, de comprendre comment aider à évoluer de nouveaux couples 🙂

Les cours se déroulent avec mes cavalières ‘habituelles’. Et puis, je vois passer cette jument, typée américaine, avec une robe alezan si banale et spéciale à la fois … et quelques flocons de neige dessus. Cet alezan standard qui devient doré au soleil … Mon regard retourne souvent dessus. Ca me rappelle quelque chose, cette robe pas banale, cet alezan commun hors du commun. Mais je suis prise par mon cours, et je ne m’y attarde pas.

Le cours finit, la nouvelle cavalière s’avance, se présente, présente la jument. Cette morphologie, cette robe, c’est là, dans mon crâne, ça me tarabuste … Comme j’écoute la propriétaire, je laisse filer, c’est juste un sentiment étrange qui tourne en boucle en fond d’écran.

Et puis, après m’avoir raconté leur parcours, leurs réussites et leurs écueils, la propriétaire la nomme.

Sweety.

Sweety …

Mon coeur fait un bond immense. Je n’ose y croire … et pourtant, je sais !

“Quel est son nom complet s’il-vous-plait ?

– Sweety Pie Quiet.”

Sweety Pie Quiet !!!

Cette jument, il y a seize ans en arrière, c’est moi qui l’avais débourrée. J’étais alors aux Varennes.

Sweety était le quatrième débourrage ‘professionnel’ de ma vie (après Lucky, Panama, et Mona Lisa Klaxon ; les autres débourrages étaient pour des échanges de service ou à titre amical, ou pour ma propre cavalerie).

Sweety n’avait pas été évidente à gérer. Pas le droit à l’erreur. C’est elle qui m’avait appris que quand on débourre, on ne tolère aucun spectateur pouvant faire des gestes anodins sur le bord de la carrière. Et encore moins ceux qui posent des questions, aussi banales soient-elles …

Un seul et furtif “Et elle a quel âge ? ” au moment où je l’enfourchais pour la première fois m’avait déconcentrée, et j’avais répondu à la question, passant mon pied dans l’étrier droit par automatisme … au lieu de remettre pied à terre illico comme je l’avais pourtant intelligemment prévu. Ce fut sans appel. Deux coups de dos plus tard, sur place, et violents, j’étais à terre, sonnée et avec un métacarpien cassé.

Je n’avais jamais eu d’accident réel de ma vie (à part une glissade le long d’une encolure à cru au pas, et hop, mon coccyx). J’étais remontée sur Sweety, bien sûr, sitôt mes esprits retrouvés, mais avec une attention accrue (et le spectateur cette fois tout silencieux, oh si ! ), et une demi-main en moins.

J’avais, juste après, assuré un remplacement à l’Ecurie du Bousquet à Labège, avec pour torture de ressangler les chevaux des cavaliers novices, avec cette main très douloureuse. Et ensuite seulement j’avais roulé jusqu’aux urgences, en priant pour ne rien avoir … Raté !

Puis j’ai enchainé, les semaines suivantes, ce débourrage avec mon attelle et mes broches. Sweety n’y était pour rien. Mon pied n’avait pas à fouiller dans ses côtes pour trouver l’étrier sur un premier montoir. Leçon retenue à vie.

Sweety Pie Quiet m’avait demandé beaucoup de réflexion pour contourner ses réticences et obtenir son adhésion. Je lui dois entre autres d’être restées environ 25-30 mn, immobiles, face à une pluie battante en balade (en selle et sans accompagnement équin), avant qu’elle se décide enfin à passer auprès d’une maison clôturée d’une murette inquiétante.

Elle m’avait obligée à une rigueur sans cesse renouvelée sur toutes mes demandes, sur tous ses acquis. Sa bonne volonté était évidente, mais son besoin de pousser les limites aussi. Chaque faille de ma part était sujet à conflit (marqué ou effleuré) dans les minutes qui suivaient. Elle m’avait étonnée par tant de finesse et tant d’opiniâtreté dans cette recherche de limites.

Mais elle et moi avions réussi. Elle pouvait, quand je l’ai rendue, faire une balade complète rênes lâches sans brouter, sans changer d’allure ni de direction ; elle répondait précisément et immédiatement à chaque code vocal spécifique (demandé par sa naisseuse, je m’en souviens encore : un claquement de langue pour le pas, deux pour le trot, un kiss pour le galop, un woha pour l’arrêt, back pour le reculer) et elle répondait à chaque geste de la part du cavalier. Elle passait fossés et dénivelés sans moufter (et ce n’a pas été facile : là aussi, que d’attentes interminables devant ces fossés avant qu’elle se décide ! ). Elle partait en balade seule ou à plusieurs, et sans s’occuper des autres, en tête, au milieu ou derrière, capable de quitter ou rejoindre le groupe sans discuter (autant par éducation que par un mental idéal).

Rendue chez elle, elle n’a pas été si parfaite ni sage que cela. Savoir qu’elle franchissait de nouveau les limites de mois en mois m’attristait pour son avenir, et j’ai cessé de prendre de ses nouvelles pour me protéger égoïstement. Je ne voulais pas savoir si cela risquait de s’assombrir pour elle ou non.

Quel bonheur, dimanche dernier donc, de la trouver là, aimée, auprès de quelqu’un qui prend soin d’elle depuis une quinzaine d’années déjà …

Merci …

 

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3 pensées à propos de “La surprise de La Gravette

  1. Encore une belle histoire, une histoire vraie, une histoire vécue, une histoire de cheval, une histoire comme je les aime, qui se finit bien et gomme les autres qui se finissent mal. La deuxième en quelques mois ou notre héroïne préférée retrouve une vieille connaissance a elle, au hasard de ces belles rencontres qui font d’autres belles histoires. Bref ! Que du bonheur ! Ce site est un vrai grimoire animé par des fées, des lutins et autres farfadets… Je m’en vais aller conter un soir prochain a ma petite fille qui adore les histoires celle du cheval Sweety et de la fée Ghislaine.
    Bonne nuit les petits, faites des jolis rêves….

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