La nappe de mamie Pétronille

Certains d’entre vous ont passé leurs doigts sous cette nappe plastique vieillotte, punaisée à la grande et légère table de bois, qui est installée dans le club house.
Cette table était ‘la table du garage’ de mamie, jusqu’à ce que mamie décide qu’il était temps pour elle d’aller en maison de retraite (excellente, soit-dit en passant). La place de cette table, chez mamie, était à gauche de la 4L blanche, et devant l’une des armoires en bois (celles actuellement dans la ‘sellerie propriétaires’).
Elle a accueilli en son temps toutes sortes de légumes et fruits, surtout lors des immenses réunions familiales et lors de la Saint Eloi.

Certains d’entre vous ont passé leur main dessous sa nappe, ou tiré dessus, ou fait sauter une punaise,
déclenchant immédiatement un ferme “Enlève tes doigts du dessous de la nappe de mamie Pétronille s’il-te-plait! La nappe de mamie Pétronille, on n’y touche pas, on ne l’abîme pas, elle se respecte! Quand même! La nappe de mamie Pétronille quoi!!”

Quand elle a commencé à être trop soulevée, gondolée, dépunaisée, malgré ma surveillance, cela m’a vraiment peinée, alors j’ai installé une autre nappe par-dessus la nappe de mamie Pétronille, pour la protéger, la garder encore un peu. Cette nappe restera là tant que mamie vivra, c’est juste une évidence.

Parce-que mamie, ce n’est pas qu’un prénom merveilleusement désuet (dont le diminutif est Nini, vous pensez bien!).
Mamie, c’est une personne comme on en croise rarement, rude au travail, solide de santé, lisant et écrivant sans cesse, d’une mémoire époustouflante,
restée fidèle à son désir permanent de toujours être juste, de faire le bien, d’ouvrir son esprit (et elle en a eu du mérite, vu par où elle est passée!), de toujours avancer sans rien piétiner, dire un mot gentil, s’enquérir de vos nouvelles et de ceux qui vous sont chers…
Elle a tant travaillé, tant voyagé, tant prié, enseigné le catéchisme, donné et milité pour le don du sang et d’organes.
Une mamie de son temps et si moderne à sa façon…
Cent-quatre ans, où elle n’a pas toujours été tendre, où elle n’a pas toujours eu raison, mais elle a toujours cherché à être juste; et rien qu’en cela, elle est respectable, admirable.

J’ai de cette grand-mère l’image d’une gardienne, d’un temple, d’un havre de sécurité, d’un guide de moralité, d’une forteresse indestructible.

Nous pouvons maintenant retirer la nappe de ‘la table du garage’.
Mamie a pu avoir son cerveau prélevé pour France Parkinson vendredi dernier.
C’était si important pour elle…

(Ceci va sans doute vous paraître étrange, mais cet article a été écrit par amour pour mamie, et non pour recevoir ‘ouvertement’ de la sympathie. En effet, tout geste ou parole de sympathie ne fait que raviver très – trop – douloureusement les derniers jours très difficiles de sa fin de vie. Ne vous y trompez pas, votre seule présence amicale, tournée vers le présent et l’avenir, est bien plus qu’efficace, à elle seule, pour panser les plaies; vraiment.)

Vous aimez ? Partagez !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

 

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.