Les belles histoires 11 bis: Les paroles de Stella

A ma demande, Stella a volontiers accepté de nous conter son histoire. La voici…

 

 

Quand Vasco et moi nous rencontrons, nous sommes tous les deux à la croisée de chemins dans nos vies respectives.

Lui, après avoir connu toutes sortes de privations tant sur le plan affectif que sur celui des besoins vitaux, a vu son itinéraire tortueux le mener d’Espagne aux alentours de Nîmes où il fait du tri de bétail quand il manque un cheval.
Les hommes lui sont des créatures sourdes, violentes et brutales parfois, dont il se méfie et accepte tout au plus la présence.
De son histoire passée, on sait finalement fort peu, tant elle se perd de revendeurs en anonymes, le long du fil de la maltraitance ordinaire.

Quand nous nous rencontrons, lui a un oeil en moins et moi un certains nombres de morceaux en éclats. Lui se lasse du tri de bétail et de sa solitude, moi j’émerge hagarde d’eaux sombres d’où on ne sort jamais indemne.

Mon parcours n’est ni typique ni exemplaire. Je suis passée d’un univers à l’autre, ou plus exactement ai fait fonctionner beaucoup d’univers de concert.
De la musique à la philosophie, de la peinture aux travaux les plus physiques (chantiers, déchargement de camions…).
Surtout ne renoncer à rien, surtout ne rien faire superficiellement, surtout ne se limiter à aucune norme.
Les normes étouffent, compressent, fragmentent.
Itinéraire tortueux de la France à l’Allemagne et retour en France, entrecoupé de très nombreux voyages-trekking à pied en autonomie, seule avec mon sac à dos ou accompagnée de quelqu’un d’autre, dans ce que je trouve de plus sauvage et isolé à travers le monde. Ces voyages un peu barrés sont ce qui va m’apprendre une grande partie des connaissances essentielles et incontournables en matière de topographie, de conduite de l’effort, de gestion du matériel et de vie-survie en extérieur loin de toute civilisation.
A chaque fois demeure la recherche de ce grain d’absolu dans le rapport à la nature sauvage qui ne s’atteint que dans le renoncement à tout confort, à toute commodité moderne, et souvent même à une grand part de sociabilité humaine.

Les chevaux sont là aussi depuis toujours, quoi que l’équitation dans ce qu’elle a d’institutionnel et de normalisé m’importe peu. Le rapport au cheval m’est en revanche essentiel et suffisant.
Le voyage synthétisant pour moi l’essence de l’existence heureuse (qui n’est pas synonyme de facile, loin de là), il est logique que ma relation aux chevaux viennent s’y inscrire.
Curieuse cependant, et cherchant à apprendre/comprendre de plain pied plutôt qu’à distance, je furète et travaille comme palefrenier-cavalier entraineur dans des milieux équestres variés, de l’obstacle à la course de plat (il faut bien connaitre ce qu’on réprouve pour pouvoir en parler..), de l’endurance à la rando longue distance.
Ah, là, voilà, on y est je crois! Allié à l’équitation sensorielle qui est finalement la recherche d’un langage commun, j’ai mes fondations.
Enfin bref, le rêve du voyage à cheval est là, depuis si longtemps. Partir, ou plutôt aller, je ne cesse de le faire, mais il semble qu’il soit maintenant temps de s’alléger plus encore, de prendre la mesure des amarres qu’on a larguées.

Pas question de sponsor: on ne saisit pas sa liberté d’une main pour tenir un boulet de l’autre. Ca ne simplifie pas la préparation: Je me finance par le travail durant les mois qui précèdent le départ et conserve en cas de pépin la présence rassurante de quelques uns qui m’assurent une aide inconditionnelle. Croyez moi, c’est inestimable.

Entre temps, l’essentiel a basculé. Si faire ce voyage reste la volonté phare, le rêve qui se réalise, l’essentiel est devenu de vivre avec Vasco. Plus qu’un extraordinaire compagnon de voyage, c’est un compagnon d’existence que j’ai trouvé, la rencontre a été fusion. Totem et totem, je protège ton corps, tu protèges mon âme, promis, juré.

Ma vie brinquebalante lui est égale tant que je l’emmène avec moi, la promesse a été faite, elle ne se dissout pas. Les mois qui précèdent LE départ sont faits de départs réitérés, de lieux d’existence sans cesse renouvelés, d’itinéraires improbables. De froid dans l’hiver qui avance : nous ne sommes pas encore sur les routes mais nous avons déjà quitté le confort des intérieurs chauffées et des abris paillés.
Les maisons où nous nous arrêtons ont des trous dans les murs et la température qu’il fait pour lui la nuit est la même pour moi. Cela a fait partie d’un processus d’endurcissement avant le départ, non calculé certes (l’idée était simplement de vivre ensemble et c’est ce qui a déterminé le choix des endroits de chute) mais diantrement efficace. Une fois sur les routes, en plein mois de février, je dois dire que la neige et les températures négatives la nuit nous sont un peu passées au dessus de la tête.

Nous voilà sur les chemins sans plus avoir à chercher de point d’ancrage, fut il provisoire, notre univers commun plié dans les sacoches et le ciel comme couverture. La solitude, oui, mais heureuse, et ensemble.

L’accident qui vient faire trébucher la ligne est une chute de plusieurs mètres du haut d’un pont suite au dérapage d’un postérieur. Tout y passe en quelques minutes, l’effort extrême pour refuser la chute inéluctable, nos deux regards qui ne se lâchent pas et pourtant le trait d’union des corps qui rompt, et mon cheval qui tombe à la renverse dans la rivière en contrebas. Il trouve l’énergie de remonter, me rejoint en haut, tremblant mais vivant : tremblants mais ensemble, de nouveau.

L’immense gentillesse de Bernard et Geneviève, rencontrés par pur hasard quelques heures auparavant sur le bord du chemin nous ouvre les portes d’un abri, d’un refuge où reprendre son souffle le temps de soigner les blessures et calmer les esprits.
Une semaine où on se serre l’un contre l’autre et où l’aide, incroyable, afflue de partout. C’est comme ça que nous rencontrons Ghislaine au lendemain de l’accident, et au climax de notre angoisse post choc. A partir de là tout ne cessera plus d’aller mieux, et à vitesse grand V. C’est encore grâce à Ghislaine que Vasco et moi même rencontrons Patrick Chêne, qui nous apporte une aide pour le moins bienfaitrice et généreuse. Il nous dénoue instantanément et l’un et l’autre et nous lave de l’angoisse. Les jours suivants ne seront plus que repos heureux et apaisement.

Nous voilà donc à la veille de notre retour sur les chemins, non pas fragilisés mais renforcés. Je m’étais préparée à la survenue d’un accident, ayant déjà l’expérience de ce que peut être un voyage de ce type en solitaire, mais rien ne pouvait rendre moins traumatisant le moment où j’ai cru perdre mon totem à sabots. Nous en sortons paradoxalement plus calmes, sans doute parce que passer de l’ombre à la lumière ne fait que dilater d’avantage les pupilles, que renforcer l’amour et la volonté sereine d’aller ensemble le long de notre chemin. Vasco va très bien, ses blessures à l’intérieur de la cuisse ont cicatrisé rapidement et proprement, nous allons repartir tranquillement en ayant conscience de notre chance et de la générosité dont nous nous sommes vus entourés.

Voici quelques photos de Stella. L’une la montrant lorsqu’elle oeuvrait en tant que soprano, et l’autre alors qu’elle est sur le départ de chez Bernard, tout son paquetage tenant sur le cheval, mini-tente incluse 🙂

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Et enfin au départ du club

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3 pensées à propos de “Les belles histoires 11 bis: Les paroles de Stella

  1. Une étoile a enchanté notre quotidien…

    Alors que nous étions aussi un peu “sonnés” par les aléas de la vie, la mésaventure de Stella nous a offert une semaine de rêve. Le repos imposé par l’état de Vasco, nous a permis de découvrir et côtoyer des êtres exceptionnels. Nous aurions pu ne conserver que le souvenir fugace du passage d’une jeune et belle cavalière blonde. Nous resterons ébahis par la somme de qualités progressivement découvertes.
    Chanteuse lyrique pro, classique mais aussi ultra branchée, mannequin, férue de philosophie et de littérature, grande sportive, baroudeuse expérimentée, travailleuse de force, cavalière accomplie… à 22 ans à peine ! Chaque fois, des dons indéniables, mais aussi beaucoup de travail et toujours le refus de l’enfermement catégoriel
    Et, pour couronner : gentillesse, discrétion, écoute des autres, enthousiasme… Voilà la “naufragée” que nous avons eu la chance d’accueillir, bien sommairement car elle ne voulait pas quitter son compagnon.
    Quelle surprise de découvrir ensuite que, au-dessus ou derrière l’Etoile, il y avait une Fée bienveillante : sa maman !
    Une âme tout aussi belle et discrète, à la vie professionnelle accaparante, qui, respectant la soif d’indépendance et d’expérimentations de sa fille, veille néanmoins à distance : Stella n’était pas en rupture. Il y a entre elles connivence et admiration réciproque.

    Au fil de cette semaine un peu irréelle, tous les “amis du cheval” sollicités se sont mis en quatre pour remettre Stella et son fidèle Vasco sur le bon chemin.
    C’est reparti pour les 5000 km qui étaient programmés, mais ce couple est armé pour aller beaucoup plus loin.
    Merci. Bonne route et plein de merveilles pour la suite.
    Nous t’embrassons,
    Bernard et Gene

  2. Bonne route à eux 2.
    Très belle histoire, quelle chance ils ont eue d’avoir croisé la route de Bernard qui les a conduit jusque Ghislaine, qui les a mis entre les mains de Patrick Chêne…une chaîne de générosité humaine qui leur permet de continuer leur chemin sereinement, riches de leur rencontre avec vous.

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